Bonjour tout le monde !
Nous voici dans les frimas d’octobre et, me concernant, une actualité plus lente ! En effet, Sinumonstrus est terminé (j’en profite pour remercier toutes celles et ceux qui m’ont fait des retours positifs sur l’album!) et il vit désormais sa vie sur la boutique Exemplaire.
De fait, je suis désormais exclusivement sur Raghnarok (enfin… disons qu’étant en plein déménagement, j’y suis quand les cartons et les travaux me le permettent) et cette semaine, je dessine la couverture du tome 7. Voici à quoi elle ressemble, et si vous voulez me voir travailler dessus en direct, en ce moment je fais quelques sessions Twitch, souvent le matin entre 10h et 13h (les rediffusions restent accessibles deux semaines).
Raghnarok à dos de sanglier sautant dans les ruines d’un château en train de s’effondrer
(Si vous n’avez jamais utilisé la plate-forme : c’est un peu comme Youtube sauf que c’est du direct. Ça ne demande pas d’inscription ou quoi que ce soit, sauf si vous voulez participer à la conversation dans la fenêtre de discussion de la chaîne)
L’album est prévu pour la fin du printemps 2025, il est presque terminé en ce qui concerne le dessin, plus qu’à enchaîner sur la couleur ensuite !
Sorties / Rencontres / Dédicaces
Saint-Malo (25-27 Octobre)
J’en parlais dans la lettre précédente, je serai en dédicaces à Quai des Bulles cette année encore. J’avais prévu de n’être que chez Exemplaire, mais sachant que je venais, Albin Michel m’a proposé de signer sur leur stand aussi. Si vous avez des enfants, c’est l’occasion de leur faire découvrir Béa Wolf ! Et si vous le les aviez pas commandés avec les livres, ce sera aussi l’occasion d’acheter les goodies de Rogatons et Sinumonstrus !
Béa Wolf, posant fièrement les bras croisés sur un trésor composé de jouets et friandises dorées
Les Crayons Solidaires 2024
C’est une soirée organisée par les Restos du Cœur et mon ami Kek. Comme tous les ans de nombreuses autrices et auteurs se réuniront pour vous proposer des portraits et quelques dessins originaux à vendre, et tous les bénéfices récoltés serviront à payer des repas pour les plus démunis. J’aurais aimé pouvoir être présent à cette édition qui se déroulera le Jeudi 5 Décembre à l’école iSart Digital dans le XIe arrondissement de Paris mais je serai à l’étranger à ce moment-là.
En revanche, j’ai proposé à Kek de lui filer quelques originaux à vendre pour l’occasion. Donc si vous y passez, vous aurez probablement le choix entre quelques aquarelles/croquis pour vos cadeaux de Noël !
Les Recommandations Culturelles
Je vais juste citer la nouvelle collection Exemplaire avec deux nouveaux titres plus « Manga » :
U LIKE UFO par Mercening, qui parle d’Ovnis, de Bigfoot et autres phénomènes paranormaux. Je découvre comme vous cette jeune artiste et j’aime beaucoup son trait, ça va faire partie de mes prochaines commandes !
Deux très belles cases en couleurs. Le perso boit à son mug, et on voit sa cuisine en désordre
Et dans la même collection (Kopì), on trouve aussi le très mignon BOBBY ET GARY par NiniWanted et Toma Pegaz. C’est la BD qui fait suite à leurs strips sur Instagram et dans le style Kawaii-rigolo, ça promet aussi un très joli livre.
Les deux personnages (une grenouille et un canard) décident de partir à la recherche de leur famille
Et une recommandation qui n’a rien à voir avec la BD: si vous bénéficiez d’un ciel dégagé loin de la pollution lumineuse des villes, vous pourrez bientôt voir la comète Tsuchinshan-Atlas qui passe en ce moment dans le ciel. Il faut regarder vers l’ouest juste après le coucher du Soleil (vers 20h). Elle sera à l’horizon vers le 11 octobre, puis remontera à mesure qu’elle s’éloignera en perdant en luminosité jusqu’au 20/21 octobre. En gros: repérez Vénus, et elle sera un peu plus haut à droite.
C’est tout pour ce début de mois ! Pas de courrier des lecteurs ce mois-ci, je voulais juste vous parler de deux artistes qui nous ont quitté. Pierre Christin, tout d’abord, le génial scénariste de Valérian et Laureline. Je ne le connaissais pas personnellement, c’était l’un de ces immenses noms de la BD que j’ai dû croiser en festival sans savoir quoi dire. Je sais qu’il était extrêmement aimé dans le milieu, et j’ai vu beaucoup de collègues et ami-e-s en parler comme d’un mentor et un ami irremplaçable.
Un Portrait de Pierre Christin Photo d'archives Sipa/Ulf Andersen
Ensuite, nous avons appris hier la disparition de Claude Lapointe, illustrateur et professeur, fondateur de l’atelier illustration des Arts Décos de Strasbourg. Je l’ai eu comme professeur il y a 25 ans, et je voulais partager avec vous quelques souvenirs de cette époque :
Je voudrais vous parler de mon diplôme aux Arts décoratifs de Strasbourg, rebaptisés HEAR (Haute Écoles des Arts du Rhin) Parce qu’en France on adore les acronymes pétés qui sonnent anglais. Je suis rentré aux Arts Décos sur un coup de bluff en 97, dans l’atelier d’illustration de Claude Lapointe. J'avais tenté trois fois l'équivalence pour être accepté dans l'école, et les tentatives étaient limitées à trois. Je n'avais plus le droit de me présenter.
Mais c'était encore les années 90, pas grand-chose n'était informatisé alors j'avais tenté "au cas où" et j'avais fini par être accepté. Pour vous donner une idée de ce que ça représentait pour moi: imaginez-vous à 12 ans voir une chouette vous apporter lettre de Poudlard. Même niveau d’enthousiasme.
C’est un atelier qui a surtout produit des illustrateurs-trices, mais notre année était un peu exceptionnelle dans le sens où plein de gens étaient surtout intéressés par la BD et l’animation, des profs m’ont redit des années plus tard à quel point notre promotion était différente des autres. Il y avait plein de gens qui font toujours de belles carrières : Lisa Mandel, Nicolas Wild, Erwann Surcouf, Daniel Blancou, Pascal Campion, Reno, Thomas Baas…
Et moi, pour la première fois de ma vie, je m’éclatais absolument dans mes études. Les weekends, j’attendais impatiemment le lundi.
Avant même mon diplôme, je commence à bosser comme pigiste dans le magazine Tchô! . En 5e année, on doit montrer au moins trois projets: 2 en illustration, et un film d’animation. Alors je me démène, je monte 2 projets de BD et je fais un petit dessin animé un peu pété. Je prépare «Raghnarok», je fais des pages… À côté je scénarise avec Nicolas Wild un album intitulé «Le vœu de Marc». Je suis censé être suivi par un jeune prof, qui ne vient jamais aux RDV que je lui donne (appelons-le «Prof»). Un lapin, deux, trois… Pas grave, j’avance comme je peux. Arrive le diplôme.
Pour vous donner une idée : on a chacun un petit box dans lequel on fait un accrochage, un projet par mur, et on doit présenter ça devant un jury avec -en soutien- notre prof, face à un gars du ministère de la culture, et si je me souviens bien, deux profs d’autres écoles? Bref, trois inconnus.
Je me souviens surtout du gars du ministère qui devait avoir 973 ans mais faisait beaucoup plus. Il avait une longue barbe blanche et en voyant mes pages m’a répété «Ohlala c’est amusant c’est de la CARICATURE j’aime beaucoup les caricatures. Vous connaissez ce jeune, là, Cabu? » (Juré c’est vrai).
Je me souviens aussi de Prof qui, n’étant jamais venu aux rendez-vous, découvrait en même temps que les autres, lançait des «j’ai pas vu, ça, tu l’as fait quand?» devant le jury, tripotait les cadres, jusqu’à en faire tomber un au sol. J’ai littéralement dû dire «tu ne veux pas juste regarder en silence?»
Les profs d’autres écoles lisent, regardent poliment, me font deux fois la remarque que c’est «plus BD que de l’illustration, vous ne faites que de la BD, alors?». Bref, alors que j’ai bossé comme jamais dans ma vie, sur un truc qui me passionne, je sens doucement le navire sombrer dans la merde.
On attend les résultats. Mes amis sont géniaux, ils me rassurent à fond «tu es probablement celui qui a le plus bossé cette année, ça va cartonner, tu vas avoir les félicitations du jury». Et honnêtement, j’y crois. J’ai tellement bossé, j’ai une confiance en moi à l’épreuve des balles.
11h. On m’appelle. Le jury et là, c’est Prof qui résume. Il a l’air blasé. «Bon alors on a discuté, la BD, ouais, super, mais tu aurais pu t’ouvrir un peu plus à d’autres trucs, l’école c’est pour tenter autre chose que ce que tu sais faire. T’es un bon gag-man, mais ça ne fait pas tout non plus. ». Je suis encore en train de digérer «Gag-man», il relève la tête : «Ne t’inquiète pas, hein, tu as le diplôme quand même, mais c’est ce qui est ressorti de notre évaluation. Tu nous envoie le suivant quand tu sors?». Je sors, sidéré et passablement en colère. Je suis l’avant-dernier alors j’attends.
Je veux en savoir plus, alors les jury terminés, je vais voir prof et je lui demande pourquoi ça s’est si mal passé. Il a l’air gavé et me dit «Mais de quoi tu parles, tu l’as eu, non?»- Bah oui mais bon… Devant mon expression il rigole «Tu n’attendais pas les félicitations, quand même?» et s’en va. Le gagman vexé rentre chez lui. En chemin il se dit fuck les diplômes et des félicitations, il est content de son travail, il faut penser à l’avenir et partir en quête de boulot. Arrivé à la maison, il y a une lettre dans la boîte: c’est un contrat. Glénat a finalement accepté Raghnarok, l’album.
Voilà comment dans ma vie, j’ai été sans emploi exactement 30 minutes, entre mon diplôme et mon premier contrat. Ça a effacé complètement le mauvais souvenir du jury et de l’autre… Prof. L’après-midi on est allé boire un coup pour fêter la fin des études, avec les ami-es et Claude Lapointe.
Un moment il me prend a part et me dit que les jury ne voient qu’une partie du travail, sans voir les efforts, le parcours et surtout les progrès réalisés en trois ans. Que c’est à ça que lui donnerait les félicitations.
(Je vous avoue que j’ai peut-être un peu pleuré dans ma bière, discrètement.)
Claude Lapointe a pris sa retraite quelques années après. Les gens de notre génération ont tous eu au moins un de ses livres. Mais il a surtout monté cet atelier à Strasbourg qui a vu défiler plein d’illustrateurs-trices pendant des générations. Son influence est -indirectement- gigantesque.
Tout ça pour dire que j'aurais aimé avoir l'occasion -ou plus honnêtement: je regrette de ne pas avoir créé l'occasion- de lui redire encore une fois à quel point il a été un prof important pour moi, d'à quel point ma carrière aurait été différente sans lui.
Je pense encore très souvent à lui et à tout ce qu'il m'a apporté. Il va me manquer.
[Prof était tout nouveau dans l’école. J’ai par la suite croisé des étudiants qui m’ont dit qu’il les avait beaucoup aidés, qu’il avait été super avec eux. Je préfère donc mettre ma mauvaise expérience sur son manque général d’expérience de l’époque, ça ne devait pas être facile non plus.
Vingt-trois ans plus tard, des potes et ma famille me font encore la blague « t’es un gagman » quand j’essaie d’être drôle en société.]
Oh et dernière anecdote qui me revient: c'est à ce dernier apéro que j'ai avoué à Claude Lapointe que je n'étais pas censé être dans l'école, vu que j'avais échoué 3 fois avant d'être admis. Il a rigolé et dit "Promis, je ne cafterai pas à la direction."
Voilà. J’ai été un peu long cette fois !
Bonne soirée et à bientôt !
-Boulet-
Une BD de 2007 que j’avais faite avec un clin d’œil à Claude
Boulet regarde un orage. En parallèle on voit Dieu qui est en train de jouer avec les effets photoshop du ciel en poussant des petits cris ravis. On voit Dieu rencontrer les profs des arts décos, qui jugent son travail avec sévérité: trop d'effets, trop de lumières, ils lui conseillent de gagner en simplicité. En parallèle on voit Boulet regarder les éclairs avec ses neveux/nièces. Dans la dernière case, Neveu demande "et pourquoi il y a du tonnerre?" et Boulet lui répond "C'est Dieu qui pète un câble parce qu'il a été recalé aux Arts Déco".